Réalités palpables. Art optique et phénoménologie

Atelier de recherche

Réalités palpables. Art optique et phénoménologie

Cette rencontre en langue anglaise a été organisée autour des conférences de Magdalena Moskalewicz et Matthieu Poirier et d'un atelier de lecture.

 

Conférences

 

Magdalena Moskalewicz

« 'Lumière mouvement espace' en 1968. Une phénoménologie de l'art optique dans les avant-gardes polonaises »

La distinction entre les deux courants géométrique et biomorphique de l'art abstrait est fermement établie sur la scène polonaise depuis une célèbre controverse entre Julian Przybos et Tadeusz Kantor relayée par la presse en 1957. Il faut attendre la fin des années 1960, après dix ans de suprématie incontestée de l'art informel et matiériste, pour voir le retour en force de l'abstraction géométrique. L'exposition « Lumière mouvement espace » organisée à Wroclaw en 1968 annonce la victoire de l'art optique et spatial sur l'anti-intellectualisme présumé de l'abstraction biomorphique. Les oeuvres en trois dimensions d'artistes comme Jerzy Rosolowicz, Jan Ziemski et Jan Chwalczyk, issues de recherches sur la perception visuelle, se distinguent par leur caractère analytique et rationnel qui leur donne une valeur épistémologique. Le fait même qu'elles se déploient dans les trois dimensions semble plus conforme à la réalité matérielle que les illusions de profondeur créées sur la surface plane du tableau. Ces oeuvres signalent donc une nouvelle étape naturelle du progrès de l'art envisagé sur le mode téléologique, progrès qui conduit tout droit à l'art conceptuel. C'est pourquoi les oeuvres en question sont souvent rangées dans la catégorie conceptuelle. Pourtant, alors même qu'elles sont censées dépasser et supplanter la peinture abstraite, elles remplissent exactement la même fonction. D'abord, l'interprétation épistémologique de l'art ne présente guère de différence avec l'idée du biomorphisme telle qu'elle était comprise vers le milieu des années 1950. Ces notions recouvrent en fait l'héritage inavoué du modèle réaliste socialiste. Ensuite, l'appréhension phénoménologique des oeuvres apparentées à l'op'art permet de laisser de côté la lecture purement conceptuelle pour faire apparaître des significations plus profondes. La conférence s'appuiera sur des exemples d'oeuvres précises de Jerzy Rosolowicz, de Jan Ziemski et de Jan Chwalczyk, pour évoquer le conflit entre abstraction géométrique et biomorphisme dans l'art polonais des années 1960, mais aussi l'opposition entre les approches conceptuelle et phénoménologique de cette période chez les historiens actuels. Il s'agira aussi de cerner la notion de réel dans la vision téléologique d'une progression linéaire de l'art menant de la peinture aux objets en trois dimensions. Nous verrons que l'appréhension phénoménologique des oeuvres concernées, anticipée dès le stade de leur conception, permet aujourd'hui d'éclairer leur sens initial. Des oeuvres d'art présumées totalement abstraites, qui soulèvent des questions universelles de perception visuelle, s'avèrent porteuses d'un témoignage sur leur contexte de production : la réalité concrète de la Pologne socialiste.

 

Matthieu Poirier

« L'iconologie du 'perceptual art' et le retour de la figure »

« Pour moi, déclare Jesùs Rafael Soto en 1973, l'oeuvre n'existe pas indépendamment du spectateur. Mes travaux, si vous les photographiez, restent des images traditionnelles. Ils ne trouvent leur dimension qu'en face du spectateur et son mouvement. » Les travaux d'Erwin Panofsky sur l'iconologie et ses limites quant à l'imitation de la perception in vivo l'ont maintes fois souligné : l'exercice de l'histoire de l'art se fonde en grande partie sur un rapport au document et, malgré l'avertissement de Soto, l'art optique, cinétique ou perceptuel ne saurait faire exception. Une étude portant sur ces questions ne peut faire l'économie d'un examen de ces photographies qui illustrent, accompagnent et, par défaut, se substituent à ces environnements, « pénétrables » ou autres installations souvent éphémères d'artistes comme Jesùs Rafael Soto, James Turrell, Doug Wheeler, Dan Graham ou encore Ann Veronica Janssens. Si l'utilité et la nécessité de ces documents paraissent indiscutables, leur usage alimente toutefois la dialectique initiale entre spectateur et oeuvre : beaucoup « font image » et réintègrent cette réalité phénoménale de la présence humaine dans le cadre de travaux qui, visuellement, sont fondés sur l'opération inverse, c'est-à-dire un effacement de tout sujet identifiable. Sur le plan de la composition, ces documents offrent une résonance étonnante avec certains tableaux « figuratifs » de Caspar David Friedrich, comme Le moine au bord de la mer (1810) – à la différence notable que, dans un environnement de Maria Nordman par exemple, ce n'est plus la figure peinte mais un visiteur anonyme qui, figé sur l'émulsion photographique, fait désormais face à la nuée infinie en nous tournant le dos. Le bouleversement sémantique qui survient alors est d'importance : le visiteur s'est substitué au sujet peint en occupant sa place laissée vacante. C'est désormais sur lui, sur son apparence et son activité théâtrale (bien que non scénarisée), que se porte l'attention des autres regardeurs. Nous traiterons de cette conscience que l'exercice de la vision se joue autant chez l'autre que chez soi, une modalité qui semble émerger dans l'art d'après-guerre dès le premier Labyrinthe du GRAV, en 1963. Un des schémas connus de celui-ci, conçu par Julio Le Parc, comporte ainsi la mention suivante, placée sous le dessin du dispositif : « Spectateur sujet d'observation à travers paroi transparente ». Dès lors, les « autres » spectateurs deviennent un sujet digne d'intérêt, voire un sujet d'observation à distance, confinés qu'ils sont dans ces cellules et derrière cette cloison, ou encore réfléchis et diffractés par les multiples carrés animés des Continuels mobiles de Le Parc tel que Continuel mobile argent sur noir (1960), comme le seront ceux, que l'on peut voir représentés sous formes de figurines, dans un Modèle de chromosaturation pour un espace public élaboré en 1965 par Cruz-Diez. Ainsi l'abstraction la plus radicale, la plus libérée de l'objet, de l'imagerie et de la figure, semble réclamer, comme en compensation, un nouveau type de présence, cette fois réelle, temporelle et phénoménale.

 

Atelier de lecture

 

Textes proposés par Magdalena Moskalewicz

  • Ireneusz J. Kamiński, « Un art spatio-temporel », article du journal Sztandar Ludu [Étendard du peuple], 29 mai 1966
  • Andrzej Turowski, « La présentation de l'œuvre de Zbigniew Gostomski » (ébauche de texte à l'occasion d'une exposition à la galerie Foksal), probablement 1974

Nom du responsable

Contact
Mathilde Arnoux

Dr. habil. Mathilde Arnoux

Directrice de recherches / Responsable des éditions en langue française (coll. Passages et Passerelles)
Téléphone +33 (0)1 42 60 41 24