Journal
Regards sur l’art et les artistes contemporains, 1889-1937
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Une coédition du Centre allemand d’histoire de l’art (DFK Paris), des Éditions de la Maison des sciences de l’homme (MSH) et de l’Institut national d’histoire de l’art (INHA)
Un livre multisupports accessible en ligne ici
Le comte Harry Kessler (1868–1937) est une figure essentielle de la vie des arts en Europe à la fin du XIXe et au début du XXe siècle. Sa triple éducation allemande, anglaise et française le voue dès l’origine à une mobilité qui devient bientôt le maître-mot de son existence de collectionneur et de mécène, de critique, de directeur de musée. Resté longtemps inédit, le Journal qu’il a tenu pendant près de soixante ans en est le dépôt et le témoin assidu. Les quelque dix mille pages manuscrites de ses carnets livrent un document exceptionnel, le miroir alerte et sensible où Kessler capte sur le vif les mouvements qui ont agité les idées, la société, la politique et les arts à Paris, Berlin, Londres ou Bruxelles entre 1890 et la veille de la Seconde Guerre Mondiale.
Les deux volumes de la présente édition s’attachent en particulier aux considérations et aux propos sur l’art et les artistes de son temps. Lecteur de Nietzsche, Kessler a toujours vu dans l’art « le grand stimulant de la vie », il veut en faire le ferment et le levier, sinon d’une révolution, du moins d’une réforme et d’un progrès des esprits. À cette fin, il s’engage avec passion dans les débats esthétiques d’une époque aussi inquiète que féconde, il visite les ateliers, fréquente les artistes, les soutient et les impose contre le carcan des académismes, le conservatisme de la politique impériale et les idéologies délétères de la République de Weimar. Dans ce combat, l’art et les artistes français tiennent la vedette. Kessler en est l’infatigable champion, le passeur diligent et avisé, au moment où s’invente en Allemagne, avec Hugo von Tschudi à Berlin ou Alfred Lichtwark à Hambourg, l’idée même du musée moderne.
Le premier tome du Journal du comte Harry Kessler couvre une période qui va de 1889 à 1906. L’Exposition universelle de 1889 à Paris y est le prélude à l’éclosion rapide d’un regard. Kessler s’enthousiasme bientôt pour les œuvres néo-impressionnistes. Achetées en 1897, Les Poseuses de Seurat sont au fondement d’une collection qui s’enrichit à la faveur des liens qu’il tisse, en travaillant pour la revue PAN, avec Auguste Rodin, Paul Signac, Maurice Denis, les galeristes Paul Durand-Ruel, Ambroise Vollard, Eugène Druet et Bernheim-Jeune à Paris, avec Edvard Munch, Max Klinger, Max Liebermann ou le marchand d’art Paul Cassirer à Berlin. Autant de noms qui seront de prestigieux alliés dans l’aventure du « nouveau Weimar », que Kessler a l’ambition de transformer, avec l’aide d’Henry Van de Velde, en fer de lance d’une modernité où les arts décoratifs tiennent une place cardinale. Premier à exposer Paul Gauguin en Allemagne, il ne tarde pas à devoir payer le prix de ses audaces : en 1906, le « scandale Rodin » sanctionne l’échec de l’entreprise. Kessler privilégiera dès lors les rapports personnels avec les artistes, qu’ils soient sécessionnistes outre-Rhin, où il a œuvré à la fondation du Künstlerbund, ou peintres nabis comme Édouard Vuillard et Pierre Bonnard à Paris, et surtout avec Aristide Maillol qu’il rencontre en 1904 et dont il devient aussitôt le collectionneur et le mécène.
Le second tome du Journal du comte Harry Kessler couvre une période qui va de 1907 à 1937. En 1907, Kessler passe commande à Aristide Maillol du Cycliste et du Désir, dont il suit et documente la réalisation dans l’atelier du sculpteur. De même, des photographies illustrent le voyage qu’il entreprend un an plus tard en Grèce avec Maillol et Hofmannsthal. Après 1910, une fièvre artistique saisit l’Europe et les Ballets russes sont peut-être la manifestation la plus vive de cette protestation contre une catastrophe imminente. La Légende de Joseph, dont Kessler a écrit avec Hofmannsthal le livret, est créée en mai 1914, juste avant le conflit. Ébranlé par la boucherie de Verdun, Kessler est envoyé en Suisse pour diriger la propagande artistique allemande. La Première Guerre marque pourtant une césure : après 1918, il se tourne vers la politique, milite pour la paix et le progrès social, ce qui lui vaudra le surnom de « comte rouge ». Kessler fonde sa maison d’édition, la Cranach-Presse, et y publie Les Églogues de Virgile illustrées par Maillol ou Hamlet de Shakespeare avec des gravures d’Edward Gordon Craig. Des difficultés économiques l’obligent à se séparer peu à peu de sa collection, dispersée dans la tourmente de l’histoire quand il doit quitter l’Allemagne en 1933. Le volume se clôt par les poignantes réflexions de Kessler après sa visite de l’Exposition universelle de 1937 à Paris.
Édition établie, présentée et annotée par Ursel Berger, Julia Drost, Alexandre Kostka, Antoinette Le Normand-Romain, Dominique Lobstein et Philippe Thiébaut, assistés de Sophie Goetzmann
À partir d’un choix de textes proposé par Ursel Berger et Alexandre Kostka
Traduit de l’allemand par Jean Torrent
Préface de Roland Recht
Comptes-rendus :
- Ségolène Le Men, dans Revue de l’art, no 199, 2018-1
- Guillaume Le Bot, dans Histara les comptes rendus, 18 février 2020, URL : histara.sorbonne.fr/cr.php?cr=3255